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La Fontaine avait raison, il faut coopérer pour durer

A l’époque classique, celui qui regardait son siècle et voulait parler à ses contemporains usait souvent de la satire ou du conte philosophique. Un exemple plaisant est bien sûr celui des Fables de La Fontaine, que tout écolier de France a forcément croisé sur sa route, que ce soit par une histoire de fromage ou de fourmi pas prêteuse. Parmi ces fables très connues, il y a celle du Lion et du Rat, qui affirme qu’une coopération entre animaux fort différents peut changer un destin qui s’annonçait funeste. Or, dans un article très récent, une équipe de physiciens de Paris s’intéressant à la dynamique des écosystèmes vient de montrer de façon irréfutable ce résultat important : La Fontaine avait raison, « on a bien souvent besoin d’un plus petit que soi ».
Ils ont étudié un ensemble d’équations qui modélisent les traits principaux d’un système écologique complexe. Leur modèle suppose l’existence d’un grand nombre d’espèces interagissant et bénéficiant d’une ressource locale de nourriture (végétale, par exemple). Ces interactions se déclinent en trois grandes classes : elles peuvent être compétitives (deux espèces sont en concurrence sur une ressource alimentaire, par exemple), prédatrices (une espèce proie sert de ressource à une autre) ou coopératives (l’épanouissement de l’une favorise celle de l’autre et réciproquement).
Par ailleurs, le modèle utilisé prend en compte l’existence d’une diversité géographique, en supposant l’existence de plusieurs communautés distinctes des mêmes espèces, mais où les particularismes locaux ont sculpté des rapports différents entre elles. A cette diversité géographique est ajoutée une capacité migratoire qui a un rôle stabilisateur important, puisqu’elle permet à une espèce de réinvestir une zone où elle se serait appauvrie. Comme tout travail de physicien, ce modèle ne sert pas à décrire une situation spécifique impliquant un petit nombre d’acteurs décrits dans leurs moindres détails, mais plutôt les tendances globales auxquelles il faut s’attendre si un grand nombre d’espèces est en jeu.
Et les résultats de cette étude sont passionnants ! Dans un écosystème spatialement étendu, deux caractéristiques s’opposent pour y maintenir la vie à long terme : d’une part, les aléas inévitables de fécondité et la mortalité jouent négativement sur les chances de survie d’une espèce. D’autre part, la capacité migratoire favorise la survie à long terme si elle est suffisamment efficace. Or, cet « équilibre dynamique » qualitativement assez simple devient bien plus subtil à analyser quand existent au sein des espèces des interactions coopératives (voir la définition plus haut). Dans ce cas, l’écosystème est plus robuste et persiste même dans des régimes où la migration est trop faible, grâce aux espèces exprimant un mutualisme important dans leurs interactions. Tout se passe comme si ces dernières développaient une résilience supérieure, du fait d’une communauté de destins née de leur coopérativité. Cette robustesse accrue a un prix, car l’écosystème devient alors « sous-critique » : si les conditions deviennent encore plus hostiles à sa survie (par exemple, si la capacité migratoire des espèces se réduit encore davantage), sa disparition survient de façon catastrophique par un point de bascule irréversible et très difficile à prévoir, car sans signe avant-coureur dans les effectifs moyens des populations en présence.
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